Permettre l'accès à chez soi
Revue CopropriétéPLUS, Été 2015
La plupart des déclarations de copropriété contiennent des dispositions prévoyant d'une part l'obligation du copropriétaire de remettre une copie des clés de son unité au Syndicat et, d'autre part, le droit d'entrée ou le droit d'accès des représentants du Syndicat chez les copropriétaires.
Bien que leur rédaction soit fort simple, ces clauses ne sont pas sans créer quelques problèmes d'application pratique, et des questions nous sont souvent posées à leur sujet, autant par les conseils d'administration que par les copropriétaires.
Ainsi, lorsqu'il s'agit de permettre l'accès à chez soi et de la possibilité de divulguer à autrui, par le fait même, une partie de notre vie privée, de notre intimité, jusqu'où s'étend l'obligation du copropriétaire? Et à l'inverse, jusqu'où s'étend l'obligation du syndicat de faire respecter les dispositions de la déclaration de copropriété relatives à ces obligations?
Si le copropriétaire peut prétendre qu'il s'agit de sa demeure et qu'elle est inviolable, le syndicat est certainement fondé de vouloir faire respecter les dispositions de la déclaration de copropriété, mais surtout d'agir de façon préventive afin de pouvoir intervenir rapidement et efficacement en cas de nécessité, et ce afin de limiter les dommages dans l'intérêt de tous les copropriétaires.
D'emblée, précisons qu'afin de pouvoir exiger la remise d'une copie des clés de l'unité, le conseil d'administration doit d'abord vérifier si la déclaration de copropriété contient une disposition à cet effet, c'est-à-dire une clause qui prévoit que les copropriétaires sont tenus de remettre une copie des clés de leur unité au conseil d'administration, de même que le code du système d'alarme, le cas échéant, et ce afin de permettre un libre accès à leur unité en cas d'urgence.
Advenant que ce ne soit pas le cas et que la déclaration de copropriété soit muette à ce sujet, il faudra amender le règlement d'immeuble afin d'y ajouter cette obligation. Un tel amendement s'effectue par une proposition présentée lors d'une assemblée générale, laquelle doit recevoir le vote favorable de la majorité des copropriétaires présents ou représentés.
Quant aux clauses portant sur le droit d'accès (droit d'entrée) du syndicat dans les parties privatives, elles encadrent et circonscrivent généralement le droit accordé, à savoir que les administrateurs ne sont autorisés à accéder à l'unité qu'en cas d'urgence uniquement, tout autre accès nécessitant un avis préalable, voire même une entente avec le copropriétaire. Nous référons le lecteur à sa propre déclaration de copropriété afin de connaitre les droits et obligations de chacun.
Dans les faits, cela signifie que les administrateurs ne pourraient se servir de la copie des clés remise afin d'entrer dans l'unité pour y effectuer une vérification des lieux parce qu'ils soupçonnent, par exemple, que des travaux ont été faits sans leur autorisation, ou encore pour procéder à une inspection de certaines composantes, pour y installer des équipements ou y effectuer des travaux, etc., sans d'abord avoir informé le copropriétaire dans le délai prévu à la déclaration de copropriété et avoir obtenu son consentement si requis. Il n'est donc pas question d'utiliser les clés remises, sans l'autorisation du copropriétaire, pour vérifier ou confirmer des soupçons.
Le mot « urgence » le dit : il doit s'agir d'une urgence, objectivement parlant. Ainsi, il s'agit d'une urgence permettant l'utilisation des clés remises et l'accès à l'unité sans préavis lorsque, par exemple, il y a déclenchement du système d'alarme incendie, lorsqu'il y a un dégât d'eau et qu'on soupçonne qu'il provient de l'unité (bris de tuyau), lorsqu'il ya gel des tuyaux, car le copropriétaire a laissé une fenêtre ouverte alors qu'il est parti pour quelques jours, en cas de bris. Les situations d'urgence peuvent être nombreuses et variées, et elles s'apprécient au cas par cas, selon les faits en l'espèce.
Le point de vue du copropriétaire
Quoique la majorité des copropriétaires s'y conforment volontairement, pour certains copropriétaires le fait de remettre une copie de leur clé au syndicat (lire conseil d'administration) équivaut en quelque sorte à donner un libre accès en tout temps et à leur guise aux administrateurs, au gestionnaire ou à leurs représentants ou mandataires (assureur, entrepreneur, inspecteur et autres), à leur accorder une liberté quasi absolue d'agir sans leur consentement, voire même sans les informer de leur venue au préalable. Il s'agit donc pour eux d'une question de protection de leur intimité, de leur vie privée.
Pour certains autres copropriétaires, il s'agit plutôt d'une question de confiance et d'un souci de sécurité, que ce soit parce que le syndicat ne dispose pas d'un lieu ou de moyens sécuritaires pour la conservation et la garde desdites clés, ou encore parce qu'on craint que des tiers autres que les administrateurs puissent y avoir accès ou en prendre possession trop facilement.
Et lorsque le climat est tendu entre un copropriétaire et le conseil d'administration, alors là rien ne va plus, et la méfiance s'installe de part et d'autre.
La négligence où le refus formel du copropriétaire de respecter la clause prévoyant son obligation de remettre une copie des clés de son unité au conseil d'administration n'est pas toujours accompagné d'un consentement de celui¬ci à accepter qu'en cas d'urgence le conseil d'administration fasse appel à un serrurier ou défonce sa porte, ou d'un engagement formel de sa part à rembourser les frais encourus en conséquence, soit les frais de serrurier ou les frais de réparation de la porte.
Pourtant, lorsque les tentatives du conseil d'administration ou du gestionnaire pour obtenir la copie des clés d'un copropriétaire se sont révélées infructueuses, combien de fois on entend les administrateurs nous dire que ce n'est pas grave, et que le copropriétaire va tout payer!
Or, même si cela est exact et que le copropriétaire sera ultimement tenu responsable des coûts qu'a dû encourir le syndicat pour avoir accès à son unité lors de l'urgence et des coûts des travaux de remise en état non assumés par l'assureur, il n'en reste pas moins que le processus de recouvrement peut s'avérer plus ardu qu'on ne le croyait initialement, et que le tout aboutisse devant un juge, aux petites créances.
Par ailleurs, c'est faire abstraction des dommages supplémentaires considérables qui peuvent être causés pendant les secondes et les minutes précieuses pendant lesquelles les administrateurs ou le gestionnaire tentent de trouver et de déterminer l'unité d'où origine le sinistre et qu'ils tentent d'y accéder, de communiquer avec le propriétaire, ou son locataire, ou encore la personne contact indiquée dans la fiche remplie par le copropriétaire, et ce sans succès.
Le serrurier n'est pas toujours disponible sur demande, et l'arrivée des pompiers peut nécessiter quelques minutes, minutes oh combien précieuses surtout lorsqu'il s'agit d'un dégât d'eau, d'une inondation.
Or, cela a un impact direct sur les coûts des primes d'assurance du syndicat, les franchises applicables, voire même sa capacité de s'assurer. En effet, si le syndicat réussit à limiter les dégâts en agissant rapidement et que les dommages sont inférieurs à la franchise d'assurance, il réclamera le coût de ces dommages au copropriétaire fautif, lequel verra à effectuer une réclamation à son propre assureur, sans que cela ait d'impact sur l'assurabilité du syndicat ou le montant des primes et des franchises.
À l'inverse, si les dommages causés aux parties communes et aux parties privatives de l'immeuble ont été aggravés en raison de l'incapacité du conseil d'administration ou des équipes d'intervention d'urgence à avoir accès et pénétrer dans l'unité « en cause » rapidement faute d'avoir en leur possession le double des clés, tout porte à croire que le montant des dommages sera augmenté et que le syndicat devra ouvrir un dossier de réclamation auprès de son assureur, avec les conséquences inévitables d'une telle réclamation sur son dossier d'assurabilité, au préjudice de tous les autres copropriétaires.
C'est également faire abstraction des dommages supplémentaires qui peuvent être causés par un accès forcé dans l'unité. Inévitablement, en cas de situation d'urgence, lorsque les pompiers défoncent une porte, ça cause des dommages importants à la structure et au cadre de porte, à la porte elle-même, aux planchers, aux murs adjacents, etc Si au surplus il est requis de déplacer ou d'enlever des meubles, des équipements ou des composantes qui entravent leur travail, voire même qui causent le dommage ou l'aggravent, cela peut résulter dans des dommages importants et non prévus aux recouvrements de l'unité (planchers, murs, etc), dommages que le copropriétaire devra réparer, matériellement dans sa partie privative, et financièrement dans les parties communes.
Ainsi, aussi rébarbative que puisse paraître cette obligation de remise de clés pour le copropriétaire, il est essentiel qu'il la respecte et s'y conforme, dans son propre intérêt vu les coûts qui pourraient lui être facturés en cas d'accès forcé, tout comme il est essentiel pour le conseil d'administration d'insister sur son application et de ne pas hésiter à prendre les moyens requis pour la faire respecter par tous les copropriétaires (mise en application de clauses pénales, recours judiciaires), et ce au bénéfice de la collectivité des copropriétaires qui ont tout intérêt à ce qu'en cas de sinistre il y ait le moins de dommages possibles dans l'immeuble et, conséquemment, moins de réclamations à l'assureur.
Dans une décision digne de mention pour sa concision et sa clarté, c'est la conclusion à laquelle en est arrivée l'Honorable Juge Danielle Turcotte, j.c.s., dans un dossier dans lequel les demandeurs refusaient de remettre un double de leurs clés au conseil d'administration. L'Honorable Juge Turcotte, j.c.s., en vient à la conclusion qu'une telle clause a une portée obligatoire pour tous les copropriétaires et, par voie de conséquence, que ceux-ci doivent remettre une copie de leurs clés au syndicat lorsqu'une telle obligation est prévue dans la déclaration de copropriété.
Dans cette affaire, au soutien de leur refus, les copropriétaires plaidaient la protection accordée par la Charte des droits et libertés de la personne quant au droit de propriété et à l'inviolabilité de la demeure, et conséquemment, l'invalidité de la disposition pertinente de la déclaration de copropriété. Quoique ceux-ci ne soient pas élaborés dans le jugement, on peut deviner qu'en sus du respect même des dispositions de la déclaration de copropriété et de son règlement d'immeuble, les arguments plaidés par le Syndicat en faveur de sa position étaient son rôle et son but premier, tels que prévus à l'article 1039 du Code civil du Québec, et conséquemment son souci constant de minimiser les dommages en cas de sinistre et sa préoccupation de pouvoir agir en temps utile et de façon efficace pour y arriver.
Après avoir entendu les parties, l'Honorable Juge Turcotte, j.c.s., rejette les prétentions et les arguments des demandeurs. En effet, en vertu de l'article 1062 du Code civil du Québec, la déclaration de copropriété (acte constitutif, règlement d'immeuble et état descriptif des fractions) lie les copropriétaires et produit ses effets envers eux à compter de son inscription.
Ainsi, en devenant propriétaires de leur unité, les demandeurs ont accepté et adhéré à la disposition qu'ils contestent puisqu'elle se trouve dans la partie « règlement d'immeuble » de la déclaration de copropriété. Ayant donné leur consentement exprès à celle-ci, les dispositions de la Charte ne peuvent leur être d'aucun secours.
D'autre part, comme le dit si bien l'Hon. Juge Turcotte, j.c.s., « Cela fait partie des inconvénients de vivre en copropriété. Certaines libertés individuelles doivent céder le pas devant le bien-être collectif. Le règlement de l'immeuble prévoyant la remise d'un double des clés respecte les dispositions de la Charte. ».
C'est certes une décision qui viendra faciliter le travail des syndicats de copropriété aux prises avec un(e) copropriétaire « réfractaire » à respecter ce type de disposition et d'obligation. Par ailleurs, nous sommes d'avis que la portée de cette décision s'étend au-delà de l'obligation de remettre un double des clés, et que les principes dégagés s'appliquent également pour toute obligation de même type, notamment la remise des copies des polices d'assurance et la remise des copies des baux, pour ne parler que de celles-ci.
Ce texte est publié à titre informationnel uniquement et ne constitue pas un avis juridique.
Me Stefania Chianetta, avocate, arbitre et médiatrice accréditée (IMAQ)
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