Location à court terme en copropriété divise : votre syndicat est-il impuissant ?
Revue CopropriétéPLUS, Printemps 2016
Au cours des dernières années, l'essor de l'économie collaborative a été fulgurant. Celle-ci s'est implantée à une vitesse telle que les acteurs gouvernementaux peinent à l'encadrer convenablement. Lorsqu'ils le font, c'est souvent bien des années en retard. Le monde de la copropriété divise n'a pas été épargné par ces bouleversements. De plus en plus de copropriétaires choisissent d'offrir leurs unités de condominium en location à des touristes pour de courtes périodes, via les nombreuses plateformes web existantes dont la plus connue demeure AirBNB.
Plusieurs incitatifs peuvent expliquer ce choix. D'une part, un copropriétaire peut alors tirer de son condominium d'importants revenus, qui seraient inatteignables par la location à long terme. D'autre part, les plateformes lui facilitent la tâche en faisant la publicité de son logement, et ce, partout à travers le monde. Enfin, plusieurs plateformes permettent au copropriétaire de filtrer à l'avance tout locataire qui paraît indésirable, celles-ci comportant souvent des systèmes d'évaluation de leurs usagers.
En fait, c'est souvent pour les autres copropriétaires que la situation est moins rose. Certains locataires à court terme peuvent s'avérer bruyants ou autrement dérangeants. D'autres peuvent être peu soucieux de leur impact ou de celui de leurs agissements sur l'état des parties communes de l'immeuble.
Le simple fait de changer de voisins chaque semaine peut être un facteur de stress.
Le 2 décembre 2015, face aux plaintes de concurrence déloyale formulées par les industries touristique et hôtelière, l'Assemblée nationale a adopté plusieurs modifications à la Loi sur les établissements d'hébergement touristique (la « Loi »)1. Celles-ci ne sont pas encore en vigueur, mais nous en traiterons néanmoins comme si elles l'étaient. Parmi ces modifications, aucune ne traite des syndicats de copropriétaires. Doit-on en conclure qu'un syndicat est démuni face au phénomène de la location à court terme? Pas du tout. En fait, comme nous le verrons ci-dessous, un syndicat est habituellement plutôt bien outillé.
En premier lieu, certaines déclarations de copropriété interdisent directement la location à court terme. En effet, bien que la déclaration ne puisse pas interdire toute forme de location, elle peut encadrer celle-ci en spécifiant notamment une durée minimale. Un règlement d'immeuble peut prévoir, par exemple, qu'aucune location ne sera permise pour une durée moindre à six mois ou à un an. La Cour d'appel du Québec a déjà maintenu la validité d'un tel règlement. Il ne reste alors au conseil d'administration qu'à faire respecter la déclaration auprès du copropriétaire fautif. Une simple mise en demeure et l'imposition de pénalités pourront suffire dans certains cas. Dans d'autres, lorsque nécessaire, le syndicat pourra obtenir une injonction ou l'éviction du locataire2.
En second lieu, même si la déclaration ne comporte aucune interdiction explicite, la location à court terme peut être interdite par la destination résidentielle de l'immeuble. Cette avenue n'est pas toujours possible, puisque ce ne sont pas toutes les locations à court terme qu'on peut qualifier de commerciales. Il faut exclure celles qui ne sont qu'occasionnelles. Néanmoins, lorsqu'un copropriétaire loue de façon régulière son ou ses unités de condominium à court terme, qu'il en fait la publicité, qu'il en tire un revenu substantiel, qu'il offre certains services « hôteliers », tout cela ressemble à du commerce. Si la déclaration interdit l'exploitation commerciale de l'unité en question, le copropriétaire qui y procède est en faute. Encore une fois, le conseil d'administration doit intervenir pour faire respecter la destination de l'immeuble.
Même si les deux premières avenues ne sont pas disponibles, le syndicat n'est pas à court d'options. Lorsqu'un copropriétaire loue, sur une base régulière, son unité de condominium à court terme (pour une durée inférieure à 31 jours), celui-ci devient assujetti à la Loi3. Il doit alors obtenir une attestation de classification et respecter plusieurs obligations légales, à défaut de quoi il s'expose à des amendes très salées, particulièrement en vertu des nouvelles dispositions. Il peut rapidement devenir très coûteux, voire impossible, de respecter à la fois ces obligations légales et les nombreuses obligations que la déclaration de copropriété peut contenir. Il n'y a donc plus d'incitatif financier à louer son unité à court terme. Dans ces cas, c'est en appliquant rigoureusement la déclaration qu'un syndicat peut mettre un frein à ce phénomène. Trois exemples appuieront nos propos :
• La plupart des déclarations de copropriété prévoient qu'un copropriétaire demeure responsable des dommages causés par son locataire et qu'il peut être tenu responsable si ce dernier nuit à la tranquillité de l'immeuble ou dégrade des parties communes;
• Lorsque la Loi s'applique, le copropriétaire est tenu d'être détenteur d'une assurance de responsabilité civile d'au moins 2 000 000 S par évènement4. En outre, le fait qu'il y ait de la location à court terme dans l'immeuble peut entraîner, pour le syndicat, une surprime considérable. Or, la plupart des déclarations de copropriété interdisent à un copropriétaire d'avoir tout comportement qui entraîne une surprime. À défaut, elles permettent souvent de charger en totalité cette importante surprime au copropriétaire qui en est la cause;
• Lorsque la Loi s'applique, le copropriétaire doit afficher un panonceau comportant son attestation de classification à la vue du public, souvent à l'entrée principale de l'établissement5. Or, la plupart des déclarations de copropriété interdisent de placer des enseignes ou des écriteaux dans les parties communes sans l'autorisation du syndicat.
Jusqu'à maintenant, nous avons pris pour acquis que le syndicat désirait enrayer la location à court terme. En pratique, ce scénario représente la majorité des cas. Or, si un nombre suffisant de copropriétaires y consent, un syndicat pourrait choisir de permettre cette pratique. Dans un tel cas, nous devons cependant exprimer les deux mises en garde suivantes. D'une part, il est impératif que la déclaration de copropriété permette la location à court terme. Dans bien des cas, comme nous l'avons déjà vu, celle-ci ne sera pas possible, ne seraitce qu'en raison de la destination résidentielle de l'immeuble. L:obligation du syndicat est alors de faire respecter la déclaration. En fait, il peut être dangereux de tolérer une location qui contrevient à la déclaration : comment alors expliquer au prochain copropriétaire fautif que le syndicat décide de sanctionner que sa violation n'a pas, elle, été tolérée? D'autre part, le syndicat (ou tout administrateur) devrait se garder d'autoriser toute location à des fins d'hébergement touristique, s'il yale moindre signe que la Loi n'est pas respectée intégralement. En effet, s'il existe des motifs de croire qu'il a autorisé une infraction à la Loi ou consenti à celle-ci, il pourrait devenir passible des mêmes amendes que le copropriétaire lui-même.
1 R.L.R.Q., c E-74.2, modifiée par la Loi visant principalement à améliorer l'encadrement de l'hébergement touristique et à définir une nouvelle gouvernance en ce qui a trait à la promotion internationale, L.Q. 2075, c 31.
2 Article 7079 C.c Q.
3 Loi, art. 1,6; Règlement sur les établissements d'hébergement touristique, R.L.R.Q., c. E-74.2, r.1, art.1,2 (le « Règlement »).
4 Règlement, art. 11.2.
5 Loi, art. 30; Règlement, art. 14.
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Me Stefania Chianetta, avocate, arbitre et médiatrice accréditée (IMAQ)
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