Réglementation du cannabis en copropriété
Revue CopropriétéPLUS, Automne 2018
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photo de l'auteur Me Stefania Chianetta

 
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Au moment de la rédaction du présent texte, nous sommes à moins d’un mois de l’entrée en vigueur de la légalisation de la vente, de la consommation et de la culture du cannabis, changement majeur dans notre société s’il en est un.

En effet, c’est le 17 octobre prochain que devrait entrer en vigueur la Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois1 , ce qui fera en sorte que la vente, l’usage, la consommation et la culture de cannabis ne constitueront plus une infraction pénale2 .

Si certains peuvent s’en réjouir, il est indiscutable que ce changement ne semble pas faire le bonheur de tout le monde, qu’il a créé et continuer de créer beaucoup de remous dans plusieurs sphères, domaines et activités de notre société (économique, résidentielle, emploi, santé, assurance, commerce, transport etc.), qu’il suscite énormément d’appréhensions et que bon nombre de questions demeurent sans réponse à quelques jours pourtant de son entrée en vigueur.

Nous n’avons qu’à regarder les réactions des municipalités, lesquelles, l’une après l’autre, s’empressent d’adopter la réglementation nécessaire afin d’interdire la vente, la culture et la consommation dans les lieux et l’espace publics.

Nous n’avons qu’à regarder la différence de points de vue et de position entre Ottawa et Québec concernant la culture et la possession de cannabis. Du côté du gouvernement provincial, il semble pour le moment n’y avoir aucune ouverture quant à la culture de plan(s) de cannabis pour fins personnelles dans une maison d’habitation, comme le permettra pourtant la loi fédérale, comme il sera interdit à un mineur de posséder du cannabis3.

On peut également se demander ce qui arrivera lorsque nous voudrons traverser la frontière pour aller passer quelques jours ou quelques semaines chez nos voisins du Sud. En effet, même si certains États américains permettent déjà la consommation de cannabis, il n’en demeure pas moins que les « frontières » sont sous la juridiction du gouvernement central américain, et que pour ce dernier la consommation de cannabis demeure interdite.

Il est permis de se demander comment réagiront les douaniers américains à une éventuelle réponse affirmative à la question de savoir si vous consommez ou avez déjà consommé du cannabis : « Oui quelquefois monsieur le douanier, chez nous c’est légal »! La prudence sera de mise pour les snow birds qui, dans quelques semaines, passeront les douanes américaines pour aller passer l’hiver en Floride! 

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Plus près de nous, la légalisation de la vente, de la culture et de la consommation de cannabis entraine également des chambardements importants dans les copropriétés québécoises. Les conseils d’administration sont littéralement bombardés de questions des copropriétaires qui veulent s’assurer que la qualité de l’air de l’immeuble et leur milieu de vie ne seront pas affectés par l’entrée en vigueur de la loi fédérale.

Parce qu’il faut bien se le dire : pour l’instant, la majorité des citoyens, incluant bon nombre de propriétaires d’unités de copropriété, considèrent que la culture et/ou la consommation de cannabis est un comportement social qui, pour différentes raisons propres à chacun, ne devrait pas être permis et devrait continuer à être sanctionné.

Nous connaissons tous l’odeur reconnaissable entre toutes que dégage la fumée de cannabis : personne ne veut que l’air qu’il respire soit envahi (pour ne pas dire empesté) par une telle odeur désagréable, nauséabonde et persistante; personne ne veut respirer cette fumée secondaire dont les effets pourraient avoir des conséquences sérieuses sur la santé, notamment pour les enfants.

Sans trop de surprises, la préparation, la rédaction et la mise en place de règlements d’immeuble dans les copropriétés afin d’interdire la culture, la consommation et l’usage de cannabis ont occupé une bonne partie de notre pratique quotidienne des derniers mois… à quelques jours de l’entrée en vigueur de la Loi, la cadence ne ralentit pas.

Mais qu’en est-il vraiment? Est-ce que les craintes et les appréhensions des syndicats de copropriété, des administrateurs et des copropriétaires sont fondées? Et dans l’affirmative, que peuvent-ils faire? Jusqu’où peut aller la réglementation qu’adopterait un syndicat de copropriété afin d’être bien outillé pour faire face à ces nouveaux défis?

Afin de répondre à ces questions, il est important de distinguer les différentes composantes d’une copropriété, à savoir les parties communes, les parties communes à usage restreint, et les parties privatives.

 

LES PARTIES COMMUNES :

En ce qui concerne les parties communes, nous sommes d’avis que l’intérêt général de la collectivité des copropriétaires, la protection de leur qualité de vie, de celle des locataires et/ou des occupants de l’immeuble, la préservation de la qualité de l’air et de l’environnement dans lequel ils vivent et évoluent quotidiennement etc., militent et justifient l’adoption de règlements interdisant la culture, la consommation et/ou l’usage de cannabis, sous toutes ses formes (plan, fleurs, feuilles etc.) et pour tous ses produits dérivés (huile, crème, gel, jujubes, haschich etc.).

Les parties communes de la copropriété étant la propriété de tous les copropriétaires4, le syndicat, responsable des opérations d’intérêt commun5, est certes en droit de se doter des règlements nécessaires afin de préserver la qualité de la vie communautaire, dont la qualité de l’air ambiant.

En ce sens, nous recommandons que tous règlements à ce sujet soient accompagnés d’un texte introductif, d’un préambule, dans lequel le syndicat précisera les motifs et les considérations ayant mené à la préparation et l’adoption d’une telle réglementation, les buts et les objectifs recherchés par la collectivité des copropriétaires. Ces prémisses et considérations seront certainement utiles au tribunal qui, éventuellement, pourrait être appelé à se prononcer et à valider la décision prise par l’assemblée des copropriétaires dans le cas d’une contestation de celle-ci.

Tous règlements à ce sujet devraient également prévoir les sanctions qui seront appliquées en cas de contravention à l’une ou l’autre de leurs dispositions, lesquelles, sans être abusives, devraient quand même avoir un effet dissuasif afin d’atteindre les buts et objectifs recherchés par le syndicat.

Si la déclaration de copropriété contient déjà une clause pénale, les règlements concernant l’interdiction de cannabis pourraient y référer directement, tout comme ils pourraient au contraire prévoir et contenir une clause pénale spécifique qui s’appliquerait uniquement en cas d’infraction à leurs dispositions.

Le syndicat bien avisé prendra soin de prévoir sanctionner non seulement la consommation et l’usage de cannabis et de ses produits dérivés, mais également la culture de celui-ci.

Ces règlements devraient faire partie de la section « Règlement d’immeuble » de la déclaration de copropriété. Conséquemment, le vote favorable nécessaire pour leur adoption est celui à prévu aux dispositions de l’article 1096 du Code civil du Québec (C.c.Q.), soit le vote de la majorité des voix présentes ou représentées à l’assemblée.

Ces règlements, une fois adoptés, devraient être immédiatement déposés dans le Registre de la copropriété6, et ce afin d’être opposables à tous les copropriétaires.

De même, afin de s’assurer que les locataires et/ou les tiers occupants soient également liés par ces règlements, nous suggérons que le syndicat se charge lui-même de transmettre une copie des nouveaux règlements adoptés aux locataires et aux tiers occupant des parties privatives7. Naturellement, une signature ou une confirmation écrite des locataires et/ou des occupants de l’unité à l’effet qu’il(s) a (ont) reçu copie des nouveaux règlements adoptés facilitera la preuve du syndicat lors de l’imposition de pénalités au propriétaire de l’unité advenant une contravention du locataire ou de l’occupant de son unité aux susdits règlements.

 

LES PARTIES COMMUNES À USAGE RESTREINT :

Les parties communes à usage restreint sont d’abord et avant tout des parties communes, et les règles relatives à ces dernières s’y appliquent8.

Les parties communes à usage restreint sont prévues dans la déclaration de copropriété, et elles varient d’un syndicat à l’autre. De façon générale, les parties communes à usage restreint sont les patios, terrasses, balcons, espaces de stationnement (extérieurs et/ou intérieurs), casiers de rangement, terrasses en toiture, certaines parties de terrain (cours arrière et/ou avant par exemple) etc.

Dans un souci de préservation de la qualité de l’air, de la valeur et de la qualité de l’immeuble, de l’environnement et du milieu dans lequel vivent et évoluent les copropriétaires, les locataires et les occupants, voire même avec une préoccupation du syndicat d’éviter, autant que possible, que la fumée secondaire et les odeurs désagréables de cannabis s’infiltrent trop aisément par les fenêtres, les portes-patio, les trappes d’aération et toutes autres ouvertures de l’immeuble, le syndicat, par l’entremise de son assemblée des copropriétaires, sera à notre avis bien-fondé d’adopter des règlements afin d’interdire la culture, la consommation et/ou l’usage de cannabis et de ses produits dérivés dans les parties communes à usage restreint. Ceci nous apparait être tout à fait cohérent avec la réglementation adoptée pour les parties communes générales, puisqu’elle vise à compléter cette dernière.

Nous réitérons nos recommandations ci-dessus quant aux considérants et aux prémisses qui devraient être prévus dans le préambule de ces règlements d’interdiction pour les parties communes à usage restreint, puisque les buts et objectifs visés par le syndicat par l’adoption de tels règlements serviront à en justifier leur adoption advenant une éventuelle contestation judiciaire.

Également, les mêmes commentaires que ci-dessus s’appliquent quant aux sanctions que devraient prévoir ces règlements d’interdiction pour les parties communes à usage restreint.

 

LES PARTIES PRIVATIVES :

L’article 947 C.c.Q. définit le droit de propriété comme étant le « droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d’un bien, sous réserve des limites et des conditions d’exercice fixées par la loi.

L’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne9 prévoit que « toute personne a le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. »

En matière de copropriété divise, les dispositions de l’article 1056 C.c.Q. prévoient que la déclaration de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires, sauf celles qui sont justifiées par la destination de l’immeuble, ses caractères ou sa situation.

S’ajoutent aux articles qui précèdent les dispositions de l’article 1063 C.c.Q., lesquelles prévoient que « Chaque copropriétaire dispose de sa fraction; il use et jouit librement de sa partie privative et des parties communes, à la condition de respecter le règlement de l’immeuble et de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble. »

Finalement, les dispositions de l’article 1102 C.c.Q. prévoient que « Est sans effet toute décision du syndicat qui, à l’encontre de la déclaration de copropriété, impose au copropriétaire une modification à la valeur relative de sa fraction, à la destination de sa partie privative ou à l’usage qu’il peut en faire. » (les soulignés sont les nôtres).

Considérant l’importante protection qui a été accordée au droit de propriété par le législateur, nous sommes d’avis, avec grand respect pour l’opinion contraire, qu’à moins qu’il ne puisse les justifier par la destination de l’immeuble, ses caractères ou sa situation, ou à moins qu’il n’obtienne le vote unanime de l’assemblée des copropriétaires10, le syndicat ne pourra validement adopter de règlements interdisant la culture, la consommation et/ou l’usage de cannabis dans les parties privatives de la copropriété, et qu’une éventuelle décision en ce sens pourrait plus aisément faire l’objet d’une contestation judiciaire et se voir annulée par le tribunal. Nous nous expliquons.

D’emblée, établissons que la consommation et/ou l’usage de cannabis pour usage médical ou thérapeutique doit être permis dans les parties privatives11 .

Établissons également qu’il est plus que vraisemblable que ce n’est pas parce que la loi entrera en vigueur le 17 octobre prochain que tout le monde se mettra tout à coup à fumer du cannabis!

Par ailleurs, si on analyse un peu la problématique appréhendée, ce que le syndicat cherche à éviter sont les désagréments causés par l’odeur déplaisante et persistante qui se dégage du cannabis lorsqu’il est fumé, ainsi que la propagation de cette fumée secondaire dans l’air ambiant et dans l’immeuble. Conséquemment, ce qui causerait problème seraient les odeurs dégagées par la combustion du produit, plus que le produit lui-même. À preuve, en quoi le syndicat et/ou les autres copropriétaires subiraient-ils un préjudice du fait que l’un des copropriétaires consomme des muffins ou des jujubes au cannabis lorsqu’il est chez lui?

Par conséquent, si le syndicat veut interdire cette odeur, il devrait également le faire avec toutes les autres odeurs susceptibles de causer un désagrément aux copropriétaires, puisque sa réglementation ne devrait pas être subjective ou discriminatoire. Ainsi, le syndicat devrait également interdire la cigarette, le tabac, la pipe, les cigares etc. dans les parties privatives, tout comme il devrait interdire l’utilisation de certaines épices dont les effluves sont tellement fortes et persistantes qu’elles imprègnent carrément les corridors de certains immeubles. Ceci est sans compter les différents parfums et eaux de toilette parfois trop capiteux auxquels de plus en plus de personnes sont allergiques. Et que dire alors de l’odeur quelquefois trop enivrante de certaines fleurs!

Farces à part, nous sommes d’avis que le Code civil du Québec et les déclarations de copropriété contiennent déjà les dispositions nécessaires permettant au syndicat de copropriété d’agir advenant qu’un copropriétaire qui cultive, consomme et/ou fait usage de cannabis dans sa partie privative cause un préjudice anormal au syndicat et/ou à d’autres copropriétaires, un préjudice qui dépasse les limites de la tolérance que les voisins se doivent entre eux.

D’une part, les déclarations de copropriété contiennent généralement une clause par laquelle il est prévu que les copropriétaires sont responsables du préjudice et/ou des conséquences dommageables qu’ils causent au syndicat et/ou aux autres copropriétaires. Les déclarations de copropriété contiennent également généralement une interdiction quant aux odeurs nauséabondes dans l’immeuble.

Quant au Code civil du Québec, les dispositions de l’article 976 C.c.Q. en matière d’inconvénients anormaux de voisinage continuent de s’appliquer et le syndicat pourra y avoir recours en cas de besoin, sans oublier les dispositions des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. en matière de bonne foi qui doit guider la conduite des parties, ainsi que les dispositions générales en matière de responsabilité civile contractuelle et extracontractuelle12.

D’autre part, advenant qu’une consommation occasionnelle de cannabis dans une partie privative cause un préjudice anormal au syndicat et/ou à un (des) copropriétaire(s) en raison d’infiltrations importantes de fumée et/ou d’odeurs, le syndicat devrait s’interroger sur une possible déficience de l’immeuble, notamment quant aux cloisons séparant les parties privatives.

Dans ce cas, le syndicat devrait vérifier si les infiltrations (et l’inconvénient anormal) ne seraient pas causées par un déficit au niveau de l’étanchéité et/ou de l’isolation du bâtiment, ou de celle des unités et/ou des cloisons entre celles-ci, ou encore par un calibrage déficient des systèmes mécaniques de l’immeuble, qui feraient en sorte que les odeurs s’infiltrent par les prises électriques, les bouches d’aération et de ventilation, les plinthes électriques, les moulures, les interrupteurs et les sorties des luminaires, pour ne nommer que ceux-là. Si tel est effectivement le cas, le syndicat pourrait devoir faire exécuter les travaux de calfeutrage, d’étanchéité ou d’isolation nécessaires afin de corriger la situation.

Le droit de propriété ne concernant que le(s) copropriétaire(s) de la partie privative, rien n’empêche que le syndicat adopte une modification à son Règlement d’immeuble afin de prévoir l’obligation, pour tout copropriétaire locateur, de prévoir et d’insérer une clause dans tout bail ou entente d’occupation qu’il conclura pour sa partie privative, qui interdira formellement à son (ses) locataire(s) et/ou occupant(s) de cultiver, consommer et/ou faire usage de cannabis et tous produits dérivés dans l’unité louée. Dans une décision récente, la Régie du logement a accueilli favorablement la demande du propriétaire visant à résilier le bail d’un locataire qui refusait de respecter le règlement interdisant de fumer dans les parties privatives et communes de l’immeuble.

Beaucoup d’incertitudes et inconnus demeurent à quelques jours de l’entrée en vigueur de la légalisation du cannabis, changement qui modifiera nos milieux d’habitation, nos milieux de travail, nos déplacements, voire même nos relations avec les autres. Beaucoup de questions se posent, et peu de réponses sont disponibles.

Nul doute que les prochains mois et les prochaines années apporteront les précisions et les balises nécessaires afin de mieux cerner les droits et obligations de tous et chacun, pour que nous puissions tous vivre et évoluer ensemble dans cette nouvelle réalité.

D’ici là, si vous avez des questions sur le sujet qui précède ou si vous avez besoin d’assistance pour la préparation de vos projets de règlements, je vous invite sincèrement à ne pas hésiter à communiquer avec moi. Il me fera grand plaisir de vous aider.

Sur ce, je vous souhaite à tous, chers lecteurs, chères lectrices, un très bel automne !


1 Loi sur le cannabis, Lois du Canada, 2018, chapitre 16
2 Sous réserve des exceptions et aux conditions prévues à la Loi
3 L'encadrement du cannabis au Québec est défini par la Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière qui a été adoptée par l’Assemblée nationale le 18 juin dernier. Ses dispositions devraient être mises en vigueur incessamment
4 Article 1046 C.c.Q.
5 Article 1039 C.c.Q.
6 Article 1070 C.c.Q.
7 Article 1057 C.c..Q.
8 Article 1043 alinéa 2 C.c.Q.
9 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12;
10 C’est-à-dire 100% des voix de toute la copropriété;
11 Sous réserve des preuves médicales en ce sens;
12 Article 1458 et 1457 C.c.Q.
13 Manoir Melançon c. Simon, 2018 QCRDL 19052


Ce texte est publié à titre informationnel uniquement et ne constitue pas un avis juridique.

Me Stefania Chianetta, avocate, arbitre et médiatrice accréditée (IMAQ)
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