L’ASSURANCE EN COPROPRIÉTÉ DIVISE :
PUBLICATION D’UN PROJET DE RÈGLEMENT ET MISE À JOUR SUR L’ARTICLE 1074.2 C.C.Q.
Revue CopropriétéPLUS, Automne 2019
Faisant suite à l’adoption, en date du 13 juin 2018, du Projet de loi 1411 (ci-après « PL 141 ») et de l’entrée en vigueur de certaines de ses dispositions en date du 13 décembre 2018, le 17 juillet dernier, le Ministère des Finances publiait dans la Gazette officielle du Québec un projet de règlement sur l’assurance des copropriétés divises.
Toute personne intéressée voulant formuler des commentaires à l’égard du « Règlement établissant diverses mesures en matière d’assurance des copropriétés divises » avait 45 jours suivant sa publication pour ce faire (période maintenant terminée), suite à quoi le Ministère pourra le publier, avec ou sans modifications, en fonction des commentaires qu’il aura reçus.
Au moment d’écrire ces lignes, nous ignorons la (les) date(s) d’entrée en vigueur des différentes obligations prévues à ce projet de règlement, lequel détermine, autant à l’égard des syndicats de copropriété qu’à l’égard des copropriétaires, les diverses obligations en matière d’assurance qui furent introduites dans le Code civil du Québec par le PL 141 en décembre 2018.
Ce projet de règlement s’attache à quatre (4) mesures essentielles, à savoir :
• La détermination du montant minimal de couverture que chaque copropriétaire doit souscrire en matière d’assurance responsabilité.
• Les modalités qui permettent d’établir la contribution minimale des copropriétaires au fonds d’auto-assurance.
• L’ordre professionnel auquel doivent appartenir les personnes qui seront chargées de déterminer périodiquement le montant de l’assurance de biens qui doit être souscrite par le syndicat de copropriété pour permettre la reconstruction de l’immeuble.
• Les risques qui devraient être couverts de plein droit par le contrat d’assurance de biens souscrit par un syndicat de copropriété pour l’immeuble.
Notons que ce projet de règlement n’a pas traité de la notion de « franchise raisonnable », ni de celle de « perte importante ». À tout évènement, le législateur n’était pas obligé de réglementer ces notions pour qu’elles entrent en vigueur.
Voyons de plus près chacune de ces 4 mesures prévues par le projet de règlement.
FONDS D’AUTO ASSURANCE
On se souviendra que le PL 141 introduisait l’obligation pour les syndicats, de constituer un 3ème fonds, soit le fonds d’auto-assurance (ci-après « FAA »), afin de payer les franchises d’assurances en cas de sinistre, permettant ainsi d’éviter les cotisations spéciales.
Le projet de règlement décrit les modalités des contributions à ce fonds. En résumé, le fonds d’auto-assurance devra être capitalisé à la hauteur de la plus haute franchise prévue par les assurances souscrites par le syndicat (exception faite de la franchise d’assurance applicable aux dommages causés par les tremblements de terre, si cette protection est prévue).
Les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 2 du projet de règlement peuvent s’illustrer de la façon suivante :
Capitalisation du FAA (après que le syndicat ait déboursé les montants des franchises d’assurance pour les sinistres survenus pendant l’année financière) | Montant à cotiser pendant l’année financière |
Inférieure ou égale à 50% de la plus haute franchise prévue par les assurances souscrites par le syndicat | 50% de la plus haute franchise d’assurance |
Supérieure à 50% de la plus haute franchise prévue par les assurances souscrites par le syndicat | La différence entre cette plus haute franchise et la capitalisation du FAA |
Supérieure ou égale à la plus haute franchise prévue par les assurances souscrites par le syndicat | Aucun |
Cette façon de faire fait en sorte que les syndicats devront constituer ou regarnir leur FAA en deux (2) ans et moins, mais également qu’ils ne cotiseront pas plus que 50% de la franchise la plus élevée par année.
Bien que cette mesure entrera en vigueur 24 mois après la date de publication du règlement final, rien n’empêche les syndicats de copropriété de commencer à s’y préparer dès maintenant, afin de répartir sur une plus longue période les impacts financiers de cette mesure, surtout si la plus haute franchise d’assurance est élevée.
ÉVALUATION DES COUTS DE RECONSTRUCTION DE L’IMMEUBLE
L’article 3 du projet de Règlement prévoit que seul un membre de l’Ordre professionnel des évaluateurs agréés du Québec pourra être chargé d’évaluer le montant que l’assurance souscrite par le syndicat de copropriété doit prévoir afin de pourvoir à la reconstruction de l’immeuble selon les exigences prévues au 1er alinéa de l’article 1073 C.c.Q.
Cette mesure entrera en vigueur 12 mois après la date de publication du règlement final.
RISQUES COUVERTS DE PLEIN DROIT PAR LE CONTRAT D’ASSURANCE
Les risques qu’un contrat d’assurance de biens souscrit par le syndicat de copropriété devra couvrir, conformément au 3ème alinéa de l’article 1073 C.c.Q., sont le vol, l’incendie, la foudre, la tempête, la grêle, l’explosion, l’écoulement des eaux, la grève, l’émeute ou un mouvement populaire, l’impact d’un aéronef ou d’un véhicule et les actes de vandalisme ou de malveillance.
Conséquemment, le contrat d’assurance devra préciser de façon explicite si l’un ou l’autre de ces risques n’est pas couvert par la police d’assurance du syndicat. Cette mesure entrera également en vigueur 12 mois après la date de publication du règlement final.
MONTANT MINIMAL DE L’ASSURANCE RESPONSABILITÉ DES COPROPRIÉTAIRES
Nous nous souviendrons que le PL 141 introduisait l’obligation, pour tous les copropriétaires, de souscrire à une assurance responsabilité. Le projet de règlement fixe les montants de cette couverture.
Ainsi, il est proposé que le montant minimal de l’assurance responsabilité que doit souscrire chacun des copropriétaires d’un immeuble en copropriété divise est de 1 million de dollars (1 000 000.00$) si l’immeuble comporte moins de 13 parties privatives habitation, et de 2 millions de dollars (2 000 000.00$) s’il en comporte 13 ou plus.
Cette mesure entrera en vigueur 6 mois après la date de publication du règlement final.
Cette mesure m’amène à mon prochain sujet, soit une mise à jour sur l’article 1074.2 C.c.Q. entré en vigueur le 13 décembre dernier.
D’abord, il est utile de se rappeler que l’assurance responsabilité civile du copropriétaire devrait couvrir les situations suivantes :
→ Remboursement de la franchise d’assurance du syndicat;
→ Dommages aux améliorations apportées par les copropriétaires dans l’unité;
→ Dommages aux biens meubles, effets mobiliers et effets personnels;
→ Perte de jouissance de leur unité en cas de sinistre, frais de relocalisation, frais d’entreposage et de manutention de leurs biens.
On constate que l’objectif principal de l’assurance responsabilité civile est de permettre au syndicat de récupérer la franchise d’assurance déboursée en cas de sinistre lorsqu’un copropriétaire doit en assumer la responsabilité, incluant les conséquences dommageables causées par le fait de ses biens.
Or, assez étrangement, alors que d’une main le législateur introduit cette obligation pour les copropriétaires, précisément pour garantir le paiement de la franchise d’assurance du syndicat, de l’autre main il met en vigueur l’article 1074.2 C.c.Q dont l’interprétation qui en est faite depuis par les assureurs des copropriétaires est des plus restrictives et écarte catégoriquement les dispositions de responsabilité légale ou contractuelle, prévues dans les déclarations de copropriété.
Faire la preuve d’une faute, même une faute simple, tel que l’exigent maintenant les assureurs des copropriétaires, équivaut ni plus, ni moins, pour le syndicat, qu’à devoir intenter un recours judiciaire afin de recouvrer le montant de sa franchise d’assurance, alors qu’auparavant il revenait au copropriétaire de prouver qu’il n’était pas responsable d’une perte ou d’un sinistre qu’il avait causé, ou qui avait été causé par son locataire, l’occupant de son unité ou encore un de ses biens.
Depuis le 13 décembre 2018, l’interprétation et l’application que font les assureurs des copropriétaires de cette nouvelle disposition fait en sorte que toutes les réclamations des syndicats de copropriété pour le remboursement d’une franchise d’assurance ou celui des sommes engagées pour la réparation du préjudice occasionné aux biens2 est systématiquement refusée, à moins que le syndicat prouve une « faute » de leur assuré, le copropriétaire.
Les très lourdes conséquences financières et d’autre nature découlant de l’entrée en vigueur de l’article 1074.2 C.c.Q. se font sentir de façon concrète sur le terrain. La situation est à ce point navrante que des syndicats sont obligés de mandater un avocat(e) pour la préparation et la signification d’une mise en demeure à leur copropriétaire, à la connaissance et quelquefois à la demande de celui-ci, et ce uniquement afin de tenter de faire bouger son assureur qui, nonobstant son « aveu » de responsabilité, refuse quand même de rembourser la franchise d’assurance au syndicat, obligeant ainsi l’ensemble des autres copropriétaires non concernés d’encourir des honoraires professionnels inutilement.
Pendant ce temps, le syndicat ne peut attendre. Il n’a pas le choix : il doit faire exécuter les travaux de réparation du bien, les dispositions de l’article 1074.1 C.c.Q. le lui imposent.
La réalité étant ce qu’elle est, depuis le 13 décembre 2018, certains syndicats en sont rendus à leur 3ème, à leur 4ème sinistre, certains avec une franchise d’assurance de 25 000.00$ et plus. C’est donc dire qu’en moins d’un an, ces syndicats [lire tous les copropriétaires du syndicat] auront été dans l’obligation d’assumer 75 000.00$, 100 000.00$, pour des franchises d’assurance qui, avant le 13 décembre 2018, auraient été assumées par le copropriétaire responsable et/ou son propre assureur.
Quand il survient 4 sinistres par année, avec une franchise en dégât d’eau de 100 000.00$ chaque fois, ce sont 4 cotisations spéciales qui sont nécessaires. Et la majorité du temps ces sinistres n’ont rien à voir avec l’entretien du bâtiment. Conséquemment, ces sinistres ne seront pas réglés par l’éventuelle entrée en vigueur du Projet de loi 16 et de dispositions obligeant les syndicats à avoir un carnet d’entretien, à réaliser une étude de fonds de prévoyance.
Bain, lavabo, toilette qui débordent; laveuse ou lave-vaisselle mal branchés, appareil de climatisation, chauffe-eau, dispositif du congélateur servant à faire de la glace qui coule ou fuit, excréments de chat qui imbibent les planchers… les exemples sont nombreux et n’ont aucun lien avec un entretien déficitaire ou négligeant de l’immeuble par le syndicat.
Disons-le : depuis le 13 décembre 2018, les syndicats sont en quelque sorte devenus leurs propres assureurs, étant à toutes fins pratiques dans l’obligation de devoir de mandater un expert en sinistres à chaque occasion afin de pouvoir connaître et déterminer le montant des travaux à réaliser, afin de pouvoir faire un choix éclairé à savoir s’ils réclament ou non à leur assureur, à devoir mandater un expert afin de pouvoir établir et prouver la cause du sinistre et la responsabilité du copropriétaire, à devoir engager un avocat pour les guider dans la préparation de leurs procédures, voire pour les représenter lorsque la réclamation dépasses le seuil de la division des petites créances de la Cour du Québec3. Finalement, le syndicat se trouve à payer plus cher que le dommage qui leur est causé ou le montant de la franchise, sans aucune garantie de pouvoir recouvrer la totalité des coûts qu’il aura dû encourir pour se faire indemniser.
Dans un contexte où leurs assureurs seront de plus en plus sollicités et que la répartition des indemnisations entre les assureurs du syndicat et ceux des copropriétaires est totalement déséquilibrée, les syndicats de copropriété [lire l’ensemble des copropriétaires] semblent avoir été pris en otage.
Devant de telles situations, certains syndicats ont déjà pris la décision de ne plus réclamer à leur assureur, de ne plus mandater de professionnel en cas de sinistre, de réclamer systématiquement une cotisation spéciale aux copropriétaires chaque fois qu’un sinistre se produit, peu importe la source, la provenance, le montant, la cause, la responsabilité.
De nombreux administrateurs ne veulent pas de cette charge supplémentaire dans leurs fonctions, la plupart du temps bénévoles, de la grogne et des conflits qu’elle engendre, du temps qu’ils devront passer sur la gestion de tels dossiers de réclamation, incluant le temps à la Cour.
Dans certains syndicats, la grogne est telle que l’ensemble des copropriétaires refuse catégoriquement d’acquitter la cotisation spéciale qui leur est demandée par le syndicat pour pouvoir faire les travaux de remise en état des parties communes et de parties privatives suite à un dégât d’eau causé par un bien d’un copropriétaire. Bien que n’encourageant aucunement de telles décisions, nous comprenons que le syndicat a les mains liées : il n’a pas les fonds pour faire les travaux et il n’a certainement pas les fonds, ni le cœur faut-il le dire, pour prendre des recours judiciaires contre ses copropriétaires afin de les forcer à payer leur cotisation spéciale. Puis de toute façon, ce ne serait pas bien réaliste. Après tout ce sont les copropriétaires qui paient les honoraires des professionnels du syndicat.
Depuis les derniers mois, la réaction des copropriétaires en assemblée en est une de découragement et de colère. Ils ne comprennent pas quels intérêts sert l’entrée en vigueur de cet article, mais ils comprennent que ce n’est certainement pas le leur. D’un côté le législateur les oblige maintenant à s’assurer, avec les coûts qui en découlent, mais de l’autre main il adopte une disposition qui permet aux assureurs d’en faire une interprétation si obtuse qui fait en sorte qu’ils se sentent justifiés de refuser d’indemniser les syndicats pour leur franchise d’assurance ou le cout des travaux.
Cette modification législative a apporté des conséquences financières très importantes, voire dans certains cas désastreuses, et il est inconcevable que le législateur ait pu souhaiter ou qu’il ait voulu un tel résultat. Le déséquilibre créé par l’interprétation et l’application des dispositions de l’article 1074.2 C.c.Q., ne peut, en toute logique, être l’effet désiré par le législateur, d’autant plus que le recouvrement des franchises d’assurance n’était pas un problème en soi jusqu’en décembre dernier. Par l’adoption de cet article, le législateur n’a pas réglé un problème : il en a créé un d’importance.
Les ministres responsables, de l’époque, de l’adoption et de l’entrée en vigueur de cette disposition avouent du bout des lèvres que telle n’était pas l’intention du législateur au moment de l’adoption de cet article. Parfait, c’est un bon début. Qu’est-ce qu’on attend pour réagir et corriger la situation, pour que les clauses de responsabilité sans faute contenues dans les déclarations de copropriété s’appliquent sans exception, automatiquement, comme c’était le cas avant le 13 décembre 2018 et que les assureurs des copropriétaires indemnisent le syndicat pour les franchises d’assurance? Pourquoi avoir voulu réglementer sur un sujet qui ne causait pas ou peu de problèmes en soi?
Le projet de loi 16, tel qu’il se lit présentement, ne viendrait pas remédier au grave problème causé par l’article 1074.2 C.c.Q. Or, si le législateur a adopté un projet de loi pour améliorer la copropriété, il peut certainement venir modifier et/ou préciser l’interprétation de dispositions entrées en vigueur antérieurement portant sur l’assurance de ces mêmes copropriétés.
Comme le dit si bien le dicton, espérons que les bottines suivront les babines.
Au plaisir de vous voir nombreux et d’en parler ensemble lors du prochain colloque!
1 « Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières »
2 Lorsque le montant de la perte est inférieur à celui de la franchise d’assurance.
3 Le seuil est de 15 000.00$
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Me Stefania Chianetta, avocate, arbitre et médiatrice accréditée (IMAQ)
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