CHARGES COMMUNES, DÉFAUT DE PAIEMENT ET RECOURS DU SYNDICAT
Revue CopropriétéPLUS, Automne 2021
Parmi les devoirs et obligations qui incombent aux copropriétaires, il y a celle, oh combien importante, d’acquitter leur contribution aux charges communes, au fonds de prévoyance et sous peu, au fonds d’assurance. De l’acquitter entièrement et à temps.
Pour ce faire, le conseil d’administration devra au préalable avoir préparé un budget prévisionnel, l’avoir présenté et avoir consulté l’assemblée des copropriétaires sur son contenu, dans le cadre de l’assemblée générale annuelle dûment convoquée et tenue 1, l’avoir adopté en réunion de conseil d’administration et avoir transmis les avis de cotisation aux copropriétaires, en leur indiquant le montant à payer et les échéances et modalités de paiement 2.
Une fois l’avis de cotisation reçu, les copropriétaires devront faire parvenir leur paiement au syndicat, par chèques postdatés, par PPA, par virement Interac ou dépôt direct au compte bancaire, dépendamment des modes de paiement acceptés par le syndicat.
L’article 1039 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») définit la mission et le but du syndicat. Cet article prévoit que le syndicat est une personne morale qui a pour objet la conservation de l’immeuble, l’entretien et l’administration des parties communes, la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble ou à la copropriété, ainsi que toutes opérations d’intérêt commun, et qui doit notamment veiller à ce que les travaux nécessaires à la conservation et l’entretien de l’immeuble soient effectués.
Pour s’affranchir de sa mission, le syndicat doit évidemment avoir les liquidités nécessaires pour faire face aux dépenses qui vont de pair avec ces obligations. Il doit pouvoir acquitter ses comptes au fur et à mesure de leur échéance. Un manque de liquidités entrainera nécessairement un nouvel appel de charges, par l’entremise d’une cotisation spéciale.
À titre de rappel, l’article 1064 C.c.Q. prévoit que chacun des copropriétaires contribue aux charges communes en proportion de la valeur relative de sa fraction.
Mais qu’arrive-t-il lorsqu’un copropriétaire néglige ou refuse de payer ou qu’il accuse un retard dans le paiement de ses charges communes? Que peut faire le syndicat?
Les recours du syndicat :
En cas de défaut ou de retard de paiement d’un copropriétaire, le syndicat dispose de deux types de recours : un recours civil et un recours hypothécaire. Ces deux recours peuvent être cumulés.
Les deux types de recours ont une exigence commune préalable : l’envoi d’une mise en demeure au copropriétaire débiteur, par laquelle le syndicat l’informe :
· De son défaut ou de son retard dans le paiement de sa contribution aux charges;
· Du montant dû, incluant les intérêts cumulés, calculés conformément à la déclaration de copropriété;
· Du délai pour régulariser la situation et acquitter la totalité du montant dû;
· Des conséquences advenant un défaut de sa part de se conformer.
La mise en demeure devrait être accompagnée de l’état de compte à jour pour l’unité concernée et elle devrait être transmise par poste recommandée ou par huissier, et ce afin d’avoir une preuve de réception de la mise en demeure par le débiteur.
Le recours civil :
Le recours civil que peut exercer le syndicat est un droit personnel. Il ne s’agit ni plus, ni moins, que d’une action sur compte.
Sous réserve des clauses de médiation et d’arbitrage dont nous discuterons ci-dessous 3, ce recours s’exerce devant la juridiction des petites créances de la Cour du Québec si la créance du syndicat est de 15 000.00$ et moins 4, devant la Chambre civile de la Cour du Québec si le montant de la créance est entre 15 001.00$ et 85 000.00$, et devant la Cour Supérieure si la créance est supérieure à 85 000.00$.
C’est donc le montant des arrérages qui déterminera le tribunal compétent pour déposer le recours du syndicat et éventuellement entendre sa cause.
Bon nombre de déclarations de copropriété ont des clauses de médiation et/ou d’arbitrage, des clauses de règlement des différends. Ces clauses prévoient généralement que les créances qui relèvent de la division des petites créances de la Cour du Québec ne leur sont pas assujetties. C’est donc dire que le syndicat ne pourra se prévaloir d’une clause d’arbitrage obligatoire pour une créance de moins de 15 000.00$.
Le syndicat pourra toutefois mettre en œuvre le processus d’arbitrage pour une créance qui dépasserait 15 000.00$, faisant ainsi en sorte qu’il serait en mesure d’avoir une décision finale et sans appel d’un arbitre sur sa créance à l’intérieur de quelques mois, voire quelques semaines.
Le syndicat étant une personne morale, il a l’obligation de se faire représenter par avocat, sauf devant la division des petites créances de la Cour du Québec.
Le recours civil permet de réclamer au copropriétaire débiteur tous les arrérages de charges communes et de contributions au fonds de prévoyance, les intérêts encourus, les pénalités et/ou frais administratifs prévus à la déclaration de copropriété et toutes autres charges facturées audit copropriétaire, entre autres celles pour une surprime d’assurance, pour des travaux faits en son lieu et place etc.
La décision qui sera rendue par le tribunal ou par l’arbitre, après avoir entendu les parties, statuera sur le montant total dû par le copropriétaire au syndicat. Sauf appel, ce jugement sera exécutoire, et le défaut du copropriétaire de rembourser au syndicat la totalité du montant indiqué dans le jugement autorise le syndicat à faire exécuter la décision contre les biens du copropriétaire débiteur pour se faire payer.
Le recours hypothécaire :
Le législateur, témoignant de l’importance que constitue à ses yeux le paiement des charges communes par les copropriétaires, dans le but de faciliter la vie aux syndicats de copropriété et de leur permettre de recouvrer plus rapidement d’éventuels arrérages de charges communes, a prévu en leur faveur un mécanisme qui s’appelle « l’hypothèque légale ».
L’article 2724 C.c.Q. prévoit que : « Les seules créances qui peuvent donner lieu à une hypothèque légale sont les suivantes :
1. Les créances de l’État pour les sommes dues en vertu des lois fiscales, ainsi que certaines autres créances de l’État ou de personnes morales de droit public, spécialement prévues dans les lois particulières;
2. Les créances des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble;
3. La créance du syndicat des copropriétaires pour le paiement des charges communes;
4. Les créances qui résultent d’un jugement. » (les soulignés sont nôtres)
L’hypothèque garantit, outre le capital, les intérêts qu’il produit et les frais, autres que les honoraires pour les services professionnels, légitimement engagés pour les recouvrer ou pour conserver le bien grevé. 5
L’hypothèque légale du syndicat se décline en 2 étapes. La première, soit l’avis d’hypothèque légale, est prévu à l’article 2729 C.c.Q. :
« L’hypothèque légale du syndicat des copropriétaires grève la fraction du copropriétaire en défaut, pendant plus de 30 jours, de payer sa quote-part des charges communes; elle n’est acquise qu’à compter de l’inscription d’un avis indiquant la nature de la réclamation, le montant exigible au jour de l’inscription de l’avis, le montant prévu pour les charges communes et créances de l’année financière en cours et celles des deux années qui suivent. » (les soulignés sont nôtres)
L’avis d’hypothèque légale est publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière où est situé l’immeuble. En sus des frais de préparation et de rédaction de l’avis, le syndicat devra acquitter des déboursés judiciaires pour sa publication au Registre Foncier. À noter que ces déboursés judiciaires sont remboursables par le copropriétaire débiteur et qu’ils s’ajoutent à sa dette.
L’avis d’hypothèque légale est publié à l’encontre de la fraction de copropriété du propriétaire en défaut. Il ne peut être publié qu’après 30 jours de défaut. Cet avis indiquera le montant de la créance à la date de l’avis, le montant qui sera dû à la fin de l’année financière en cours, ainsi que celui qui sera dû pour les 2 exercices financiers suivants.
Le recours hypothécaire ne vise qu’à recouvrer les charges communes impayées. Cela n’inclut donc pas les pénalités et/ou frais administratifs imposés aux copropriétaires, pas plus que d’autres charges qui auraient pu être facturées au copropriétaire débiteur (travaux, surprime, frais de câble, frais de la CCUM et autres). Ces pénalités, frais et charges autres que les charges communes ne pourront être recouvrées que par recours civil.
Quoique le syndicat n’ait pas d’obligation de signifier une copie de l’avis d’hypothèque légale au débiteur, il est d’usage d’en transmettre une copie de courtoisie, que ce soit pour des motifs stratégiques ou tout simplement pour s’assurer que le copropriétaire ne puisse invoquer qu’il n’avait pas connaissance de la situation.
Si le débiteur ne corrige pas la situation en payant au syndicat ce qui lui est dû, plus les déboursés judiciaires encourus, le syndicat devra passer à la 2ème étape du recours hypothécaire, que l’on nomme communément le Préavis d’exercice 6.
C’est l’article 2757 C.c.Q. qui traite dudit préavis. Celui-ci se lit comme suit :
« Le créancier qui entend exercer un droit hypothécaire doit produire au bureau de la publicité des droits un préavis, accompagné de la preuve de signification au débiteur et, le cas échéant, au constituant, ainsi qu’à toute autre personne contre laquelle il entend exercer son droit. […]. »
Article 2758 C.c.Q. :
« Le préavis d’exercice d’un droit hypothécaire doit dénoncer tout défaut par le débiteur d’exécuter ses obligations et rappeler le droit, le cas échéant, du débiteur ou d’un tiers, de remédier à ce défaut. Il doit aussi indiquer le montant de la créance en capital et intérêts, s’il en existe, et la nature du droit hypothécaire que le créancier entend exercer, fournir une description du bien grevé et sommer celui contre qui le droit hypothécaire est exercé de délaisser le bien avant l’expiration du délai imparti.
Ce délai est de 20 jours à compter de l’inscription du préavis s’il s’agit d’un bien meuble, de 60 jours s’il s’agit d’un bien immeuble […]. »
Le préavis d’exercice doit être signifié au débiteur avant d’être publié. Le préavis d’exercice devra indiquer le montant total dû par le copropriétaire débiteur à la date du préavis, incluant les intérêts encourus selon le taux prévu à la déclaration de copropriété, pas plus. Le syndicat devra également indiquer s’il entend procéder à la vente sous contrôle de justice de la fraction de copropriété de son débiteur, à sa prise en paiement. Le préavis doit sommer le débiteur de délaisser l’immeuble avant l’expiration d’un délai de 60 jours.
Il est important de vérifier votre déclaration de copropriété puisque certaines d’entre elles prévoient l’obligation, pour le conseil d’administration, d’informer le créancier hypothécaire du copropriétaire advenant défaut de ce dernier d’acquitter ses charges communes. Si tel est le cas, le syndicat devra transmettre une copie de courtoisie du préavis d’exercice audit créancier hypothécaire.
Si le créancier hypothécaire n’est pas intervenu à l’étape de l’Avis d’hypothèque légale, c’est généralement après le Préavis qu’il interviendra : soit pour acquitter la dette en lieu et place de son débiteur (le copropriétaire en défaut) ou pour manifester ses intentions.
Le copropriétaire, ou toute personne en son lieu et place, dispose donc d’un délai de 60 jours pour régulariser la situation en payant au syndicat le montant total indiqué au Préavis, ainsi que les déboursés judiciaires qu’aura encouru le syndicat pour la publication de l’Avis d’hypothèque légale, celle du Préavis d’exercice et les frais d’huissiers pour sa signification.
Le syndicat ne peut, par recours hypothécaire, réclamer le remboursement des honoraires et déboursés extrajudiciaires au copropriétaire en défaut. L’article 2762 C.c.Q. est non équivoque à ce sujet :
2762 C.c.Q. : « Le créancier qui donné un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire n’a le droit d’exiger du débiteur aucune indemnité autre que les intérêts échus et les frais engagés.
Nonobstant toute disposition contraire (lire : nonobstant toute clause pénale ou clause de remboursement des honoraires pouvant exister dans la déclaration de copropriété), les frais engagés excluent les honoraires dus par le créancier pour des services professionnels qu’il a requis pour recouvrer le capital et les intérêts garantis par l’hypothèque ou pour conserver le bien grevé. » (les soulignés sont nôtres)
Si le copropriétaire régularise la situation en payant au syndicat ce qui lui est dû le dossier est réglé. Advenant toutefois qu’il fasse défaut de régulariser la situation dans le délai de 60 jours, il devra délaisser sa fraction. Le délaissement est volontaire ou forcé 7. Il est forcé lorsque le tribunal l’ordonne, après avoir constaté l’existence de la créance, le défaut du débiteur, le refus de délaisser volontairement l’immeuble et l’absence d’une cause valable d’opposition 8.
Le tribunal est saisi du dossier par voie de Demande introductive d’instance en délaissement forcé et vente sous contrôle de justice, ou en délaissement forcé et prise en paiement, qui sera naturellement signifiée au débiteur.
La compétence de la cour sera déterminée en fonction du montant de la créance du syndicat, soit en Cour du Québec si la créance est inférieure à 85 000.00$, ou en Cour supérieure si elle supérieure à ce montant. Le syndicat doit être représentée devant ces instances.
Le jugement qui sera rendu par le tribunal sur la Demande en délaissement forcé fixera le délai dans lequel le délaissement devra s’opérer, en déterminera la manière et désignera la personne en faveur de qui il aura lieu.
Seule la Demande en délaissement forcé est interruptive de prescription. La publication de l’Avis d’hypothèque légale, tout comme celle du Préavis, n’interrompt pas la prescription : ce ne sont pas des procédures judiciaires. Les arrérages de charges communes deviendront donc prescrits après 3 ans de l’exigibilité de chaque paiement si le syndicat ne dépose aucun recours judiciaire avant la fin de ce délai de 3 ans. Le fait que le syndicat ait fait publier un Avis d’hypothèque ne protégera pas sa créance passé ce délai de 3 ans si aucune procédure judiciaire n’a été déposée.
Puisque les actions personnelles et les actions hypothécaires peuvent être exercées simultanément, il est possible de cumuler les 2 demandes et les 2 conclusions dans une seule et même procédure judiciaire. Ainsi, le syndicat pourrait procéder par voie de « Déclaration introductive d’instance en délaissement forcé, vente sous contrôle de justice et action personnelle ».
Toutefois, les ordonnances rendues sur ces deux recours jumelés dans une même procédure seront différentes puisque comme nous l’avons vu précédemment, les honoraires et déboursés extrajudiciaires que le syndicat a engagés pour recouvrer les sommes dues devront être retranchés.
Ainsi, à titre d’exemple :
· Copropriétaire en défaut : il doit une somme de 50 555.00$ en capital et intérêts au syndicat;
· Le syndicat a encouru 10 000.00$ en honoraires et déboursés extrajudiciaires pour recouvrer les charges communes impayées par le débiteur, lequel 10 000.00$ était au budget et a donc été réparti à tous les copropriétaires selon les quote-part respectives de leurs fractions;
· La quote-part du copropriétaire en défaut est de 2%. Sa part des honoraires et déboursés de 10 000.00$ encourus par le syndicat serait donc de 200.00$.
Compte tenu du libellé des articles 2667 et 2762 C.c.Q., le tribunal retranchera le montant de 200.00$ et l’exclura de l’assiette de l’hypothèque bénéficiant au syndicat.
Ainsi pour faire échec à l’exercice du droit hypothécaire exercé par le syndicat et éviter la vente de son unité, le débiteur devra lui payer la somme de 50 355.00$, puisque c’est la valeur de l’hypothèque du syndicat sur son unité, mais il demeurera cependant tenu personnellement au paiement du plein montant de la créance du syndicat, soit 50 555.00$ 9.
Si le copropriétaire débiteur fait défaut de respecter la décision rendue, le syndicat sera en droit de l’exécuter et conséquemment le huissier qui aura été mandaté procèdera à la vente sous contrôle de justice selon les conditions énoncées dans la décision (ou à la prise en paiement, selon le recours choisi) et procèdera au paiement des sommes dues au syndicat à même le produit de la vente de la fraction de copropriété.
Ceci clôt mon tour d’horizon sur les recours dont dispose le syndicat à l’égard d’un copropriétaire qui omet ou refuse de payer partie ou totalité de ses charges communes. Si vous avez des questions sur ce qui précède, sur le processus à suivre, les recours judiciaires ou sur l’arbitrage, n’hésitez surtout pas à communiquer avec moi : il me fera plaisir de répondre à vos questions.
Sur ce, chers lecteurs, chères lectrices, puisque nous sommes déjà rendus là, je vous souhaite de passer un très bel automne. Prenez le temps de profiter de la liberté que nous retrouvons graduellement collectivement et d’apprécier chaque moment de cette belle saison.
1 Ou dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire s’il s’agit d’un budget spécial.
2 Article 1072 C.c.Q. : « Annuellement, le conseil d’administration fixe, après consultation de l’assemblée des copropriétaires, la contribution de ceux-ci aux charges communes, après avoir déterminé les sommes nécessaires pour faire face aux charges découlant de la copropriété et de l’exploitation de l’immeuble et les sommes à verser au fonds de prévoyance. […]. Le syndicat avise, sans délai, chaque copropriétaire du montant de ses contributions et de la date où elles sont exigibles. »
Article 1071 C.c.Q. : « Le syndicat constitue, en fonction du coût estimatif des réparations majeures et du coût de remplacement des parties communes, un fonds de prévoyance affecté uniquement à ces réparations et remplacements. […]. Ce fonds est la propriété du syndicat et son utilisation est déterminée par le conseil d’administration. »
3 Également appelées « Clauses compromissoires »
4 En excluant les intérêts
5 Article 2667 C.c.Q.
6 Anciennement connu sous le nom « d’avis de 60 jours ».
7 Article 2763 C.c.Q.
8 Article 2765 C.c.Q.
9 Plus les pénalités et le remboursement des honoraires et déboursés encourus s’il existe une telle clause dans la déclaration de copropriété.
Ce texte est publié à titre informationnel uniquement et ne constitue pas un avis juridique.
Me Stefania Chianetta, avocate, arbitre et médiatrice accréditée spécialisée copropriété (IMAQ et UdeS)
Présidente de la table sectorielle « Copropriété » de l'IMAQ
(Institut de médiation et d'arbitrage du Québec)
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